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Les baumes d'Alazia
26 juin 2004

Lettre à Ana

Chère Ana,

J’en ai fait du chemin pour te fuir. L’horizon au loin me paraît encore bien souvent inaccessible, car tu es toujours là, dans ma tête, à m’observer : « qu’as-tu mangé? C’est trop. Ne mange pas si vite! »… Vas-tu te taire un jour? Je n’en peux plus de t’entendre! Vas-tu laisser ma tête tranquille? En sortir? Me permettre de respirer?

Je n’ai pas choisi de t’avoir dans ma vie; tu es venue à moi. Tu m’as un jour prise en charge, en otage. Tu m’as prise par la main pour m’amener dans un lieu où je ne sentirais plus la souffrance, la solitude. Tu es arrivée, tu t’es faufilée, discrètement. Je n’ai pas réalisé toute la place que j’allais te donner. Tranquillement, tu as su t’installer sans que je m’en rende compte vraiment. Tu m’as d’abord encouragée à devenir plus en forme en m’entraînant très intensément, de façon acharnée. Quand j’ai commencé à voir des résultats, tu m’as félicitée, mais tu en voulais encore plus… Dans ma tête, un jour, tu as tout fait basculer. Je t’ai tant aimée, chérie. Grâce à toi, j’avais repris le contrôle de ma vie. Mes faiblesses disparaissaient, ma volonté, ma force d’esprit augmentaient. Toi seule me comprenais. Maintenant parfois c’est l’euphorie. Les sens sont de nouveau intactes, alertes. Que c’est bon de tout ressentir… D’être sensible. Le nez et la peau sentent. Les yeux voient. La langue goûte. Les oreilles entendent plus. Toujours plus.

Ma chère Ana, je me sens bien lorsque aucune rondeur n’attire ton attention. Mais quand tu sens que je ramollie ou que la nourriture se fait trop présente dans mon estomac, lorsque tu sens les plis dans mon ventre, lorsque mes cuisses t’indisposent, t’obsèdent, là c’est une toute autre histoire. Tu me fais tout oublier. Plus rien ne t’importe. Ma santé, mes cheveux, mes insomnies, mes grelottements, mon regard fuyant ne te préoccupent plus, et tu m'actives et tu attends la faim impatiemment. Tu l’appelles, tu la désires. Tu restes à son affût constamment, en regardant les heures passées. La faim est la seule qui te réconforte, qui te rassure, qui sache atténuer les monstruosités que tu me craches au visage sans broncher. Quand la faim m'assaille, tu me laisses respirer de nouveau. Mais bien vite, la tourmente recommence. Je suis déchirée entre le désir de prendre soin de moi et la peur de l'effet qu'a la satiété sur toi.

Déchirant combat entre mon esprit et ce corps. Ma tête, envahie par ta voix, veut triompher sur le corps que tu juges imparfait. Tu t'efforces de garder intacte cette distance d'avec le corps. Tu le martyrises, ne tiens pas compte de ses cris d'alarme et des soins que je devrais lui prodiguer. Moi et lui ne faisons jamais un. Quand viendra le jour où tu t'éclipseras pour qu'ils s'attirent, tranquillement, et souhaitent plus que tout se retrouver? Corps et âme enfin ensemble. Sur le chemin rempli d'obstacles qu'ils auront parcouru pour s'unir, ils t'auront fait taire à jamais, toi, mon anorexie...

Alazia, l'imparfaite

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